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Les yeux dans les yeux

Rencontres en soins palliatifs

Interview de Ségolène P.

" Avoir accès aux soins palliatifs est une chance, n'en ayez pas peur.
La malchance, c'est la maladie. "

Peux-tu te présenter ? Comment es-tu arrivée en soins palliatifs ?

Je suis médecin en soins palliatifs depuis plus de 15 ans maintenant. Mon arrivée dans ce domaine ne s’est pas faite à la suite d’un événement marquant en particulier. C’est plutôt une succession de rencontres avec des patients ou des professionnels des soins palliatifs qui m’ont progressivement amenée à me poser des questions.
Assez tôt dans mes études, j’ai compris que la médecine, au fond, c’était souvent plus de l’accompagnement que de la guérison. Je me souviens de mes stages aux urgences : j’y ai découvert rapidement la dimension du prendre soin de l'hôpital :  je me rappelle notamment de personnes sans domicile fixe qui venaient consulter pour des choses qui peuvent paraître banales, c’étaient pour eux l’occasion de se laver, prendre un repas... Tout ça m’a fait réaliser que la médecine, pour moi, c’était avant tout du « prendre soin ».
Mon parcours a ensuite été jalonné de rencontres marquantes, pas toujours très positives d’ailleurs. J’ai construit ma manière d’exercer la médecine parfois en opposition à certaines pratiques médicales, notamment dans la relation soignant-soigné, que je trouvais peu humaine. Et c’est aussi en réaction à cela que je me suis tournée vers les soins palliatifs.

Comment vis-tu, comme médecin, le fait de ne pas pouvoir guérir les patients ? N’est-ce pas difficile ?

Pour moi, cela n’a pas été difficile, parce que très tôt j’avais déjà commencé à comprendre que j’étais attirée par l’accompagnement, au moins autant que par la guérison.
Donc je n’ai pas eu le sentiment que c’était un deuil à faire.
Mais c’est vrai que c’est une différence de posture énorme entre la médecine curative et la médecine palliative. Et ça fait que je me sens un peu en dehors de la médecine traditionnelle.

Est-ce que les soins palliatifs ont quelque chose à apporter à la médecine « curative » ?

Oui, beaucoup. Pour moi, les soins palliatifs participent à la réhumanisation de la médecine.
La médecine, au cours de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe, a fait des progrès techniques considérables et tant mieux ! Mais en parallèle, on a parfois perdu en humanité. On a une médecine, surtout hospitalière, qui peut être très déshumanisante.
Les soins palliatifs peuvent aider à ramener cette humanité dans les soins. L’idée, ce n’est pas de sacrifier la technique pour l’humanité, mais de faire remonter l’humanité à la hauteur de la technique.

Et du coup, est-ce qu’ils ont aussi quelque chose à apporter à la société ?

Complètement. Pour moi, c’est un peu différent, mais oui : les soins palliatifs peuvent amener à une société du lien, de la relation, plus qu’à une société de l’hyper-autonomie.
On a besoin les uns des autres, et ce n’est pas une honte. C’est même très beau de pouvoir aider quelqu’un. C’est une chance.
Je le dis souvent à mes patients : « Si vous ne nous appelez pas, pensez à nous, on est là pour ça. »
Donc oui, je pense que les soins palliatifs peuvent vraiment apporter cette idée-là à la société : la valeur de la relation, de l’entraide, de la solidarité.


Et toi, comment tu vis ton rapport à la mort, à la souffrance, à la maladie grave ? Parce que souvent, ces sujets font peur…

Déjà, pour moi, la première évidence, c’est que les soins palliatifs parlent de vie, pas de mort. La mort, en soi, ça ne dure qu’une seconde.
Notre métier, c’est un métier de vie. De vie avec la maladie, de vie avec la souffrance, avec la difficulté… Mais ce qu’on vit au quotidien, c’est la vie, et ça, ca a beaucoup de sens.
La souffrance existe, c’est sûr. Mais ce que je vois surtout, c’est tout ce qu’on peut soulager. Et ce soulagement-là est immense.
Très récemment, j’ai accompagné une famille dont le papa, 50 ans, est décédé dans notre service. Ça a été très difficile pour sa famille. Mais après son décès, au moment du temps que nous prenons toujours avec les proches, son fils m’a dit : « Je crois que s’il nous voit de là-haut, il vous dit merci. »
La souffrance fait partie de la vie, tout comme le plaisir, le bonheur. Mais pour moi, ce que je vois, ce n’est pas tant la souffrance que ce qu’on peut faire pour l’apaiser, le mieux-être qu’on peut apporter. C’est ça qui me nourrit.

Qu’est-ce que les patients, et peut-être aussi leurs familles, demandent quand tu les rencontres pour la première fois ? De quoi ont-ils besoin ?

Avant tout, d’être écoutés. Vraiment, profondément.
Les patients qu’on voit en équipe mobile ou en unité de soins palliatifs, ce qu’ils expriment en premier, c’est ce besoin d’écoute. Et les familles nous le disent souvent : « C’est la première fois que quelqu’un prend ce temps-là avec moi. »
Et juste ça, le fait d’écouter, ça règle déjà la moitié des choses. On n’a rien fait d’autre, mais ça va mieux.
Parfois, je me dis que c’est presque trop facile : il suffit de s’asseoir, d’écouter…
Donc oui, la première chose, c’est ça : être écouté, reconnu comme une personne. Et ensuite, bien sûr, être soulagé, informé, accompagné… Mais ça vient après.

Et toi, tu travailles dans un service qui est très vivant, très créatif : il y a un atelier pâtisserie, des apéros… D’où vient cette idée ?

Ça vient vraiment de l’idée de soutenir la partie vivante des patients.
On est dans une unité de soins palliatifs presque comme à la campagne, sans biologie, sans radiologie, très peu médicalisée. Et ça donne une couleur particulière à notre service.
Pour moi, la fin de vie, ce n’est pas seulement une question médicale, c’est même surtout une question d’accompagnement, et de société.
L’atelier pâtisserie, le chant, l’apéro, les massages, le violoncelle… tout ça a autant d’importance, voire plus, que les médicaments.
Ça dépend des patients, bien sûr, mais ce qui revient souvent, c’est que la maladie les empêche de vivre depuis longtemps. Ils n’ont plus de projets, ils sont toujours entre deux chimios, deux examens…
Et chez nous, on essaie de soulager autant que possible ce qui relève de la médecine, pour leur permettre de revivre un peu.
Ils nous le disent d’ailleurs : « Je revis depuis que je suis ici. »

Quand les patients participent à ces ateliers, ils se croisent, ils se voient entre eux… Est-ce que ça change quelque chose pour eux ?

Oui, je pense que ça joue beaucoup. Le fait de « rencontrer encore », c’est très fort.
Quand on propose un massage, une pâtisserie, un apéro, ou même juste une discussion, il y a une rencontre.
Et là, pendant ce moment-là, le soignant disparaît un peu, et il reste juste une personne en face d’une autre.
C’est ça, cette idée « d’encore rencontrer » quelqu’un, même à la fin de sa vie.
Et je pense que oui, ces moments-là ont une vraie valeur.

Et qu’est-ce que tu aimerais dire à celles et ceux qui vont venir voir l’exposition, et qui ne connaissent pas trop les soins palliatifs ?

Je leur dirais : n'ayez pas peur des soins palliatifs. Avoir accès à une équipe de soins palliatifs, c'est une vraie chance. La malchance c'est la maladie. La malchance, c'est la mort qui arrive. Mais avoir accès aux soins palliatifs, c'est une chance.