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Les yeux dans les yeux

Rencontres en soins palliatifs

Interview de Sylvia B.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Sylvia Boulate et je suis infirmière depuis plus de trente ans. J’ai commencé dans les services aigus : d’abord en réanimation cardiaque, puis en réanimation chirurgicale et vasculaire. Ensuite, j’ai intégré la fonction publique hospitalière. J’ai travaillé en médecine polyvalente, puis dans une unité de surveillance continue pendant treize ans.
Après ces années en soins aigus, j’ai eu envie de changement. J’ai réfléchi à une autre manière de prendre soin, un peu moins technique, plus humaine. J’ai alors suivi un Diplôme Universitaire (DU) sur la douleur pour améliorer les pratiques de l’unité où je travaillais. Mais malgré cela, une forme de routine s’est installée. C’est là que j’ai décidé de préparer l’école des cadres, que j’ai intégrée après avoir réussi le concours. Pendant la formation, j’ai eu l’occasion de faire un stage dans une unité de soins palliatifs. À l’époque, j’y ai travaillé brièvement comme aide-soignante. Je m’étais dit que ce n’était pas encore le bon moment pour moi… Mais l’opportunité s’est présentée plus tard, et cette fois, je l’ai saisie. C’est là que je travaille aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous attirait dans l’unité de soins palliatifs ?

C’est la manière d’accompagner les patients qui m’a touchée. Pouvoir discuter, écouter, accueillir les familles… On porte un regard plus global, plus attentif. Dès mon arrivée dans cette unité, j’ai senti que ça me correspondait. J’y suis restée une première année, puis j’ai voulu approfondir et j’ai suivi un DU en soins palliatifs. J’ai aussi participé à un congrès sur le sujet. Tout cela m’a confortée : j’avais trouvé ma voie.
Douze ans après, je suis toujours là. Ces années m’ont permis de me poser, de monter des projets, de monter en compétences. J’ai beaucoup appris et j’essaie de transmettre. Ce que je constate, c’est qu’à l’extérieur, il y a encore beaucoup de méconnaissance sur ce que nous faisons. On a un vrai travail de sensibilisation à mener sur l’importance de notre accompagnement.

Et justement, en quoi les soins palliatifs peuvent-ils concerner la société dans son ensemble ?

J’ai entendu un jour cette phrase que je trouve très juste : les soins palliatifs soignent aussi la société. Parce qu’ils nous rappellent une vérité qu’on préfère oublier : un jour, on mourra.
On ne pense pas à la mort, sauf quand la maladie nous y confronte. On imagine souvent que ça viendra plus tard, après avoir élevé ses enfants, travaillé, profité. Mais parfois, la maladie arrive trop tôt, sans prévenir. Et là, on réalise qu’on n’était pas prêt : ni au corps qui change, ni aux douleurs, ni à la fin de vie.

Et comment accompagnez-vous ces personnes dans cette prise de conscience difficile ?

Dès leur arrivée, on prend le temps de les accueillir, de leur expliquer que les traitements curatifs sont derrière eux… mais qu’il reste encore beaucoup à vivre. Chaque petit moment de confort, de lien, devient essentiel. On leur montre qu’ils sont encore pleinement des personnes, pas des malades résumés à leur pathologie ou à un numéro de chambre.
Ils sont souvent surpris de la chaleur humaine, de la liberté offerte dans notre unité : pas d’horaires fixes, on s’adapte à leur rythme. C’est cette attention qui fait toute la différence. Elle les remet dans une place d’humain, à part entière.

Votre regard sur la fragilité a-t-il changé avec cette expérience ?

Oui, profondément. Travailler en soins palliatifs m’a fait mûrir. J’ai appris à savourer les petites choses, à ne pas remettre à plus tard ce qui compte. J’ai vu trop de gens partir sans avoir profité, parce qu’ils pensaient avoir encore le temps.
Mon regard sur les autres a changé. Je suis plus attentive, plus à l’écoute. Et j’essaie de partager ça, à l’extérieur aussi. Les gens me disent souvent : il faut bien des gens comme vous. Mais en fait, on pourrait tous faire un bout de ce chemin.
Et quel regard portez-vous, justement, sur les personnes fragiles, vulnérables, celles que la société met parfois à l’écart ?
On ne les voit pas comme des “vieux”, des “moches” ou des “malades”. On les voit comme des personnes. Notre regard est bienveillant, jamais dans la pitié. On les accueille tels qu’ils sont, avec leurs forces, leurs failles, leurs histoires. On crée un lien, un dialogue. On leur laisse aussi la place de dire ce qu’ils n’ont jamais pu exprimer. D’humain à humain.

Comment définiriez-vous les soins palliatifs en quelques mots ?

Pour moi, les soins palliatifs, c’est la vie, jusqu’à la dernière seconde. Tant qu’on est vivant, il y a de la vie. Même un geste simple, comme s’asseoir au bord du lit, peut devenir une victoire. Planter un citronnier, partager un apéritif, chanter… Ce sont ces petites choses qui ramènent à la vie. On accompagne, on soutient, on célèbre ce qu’il reste à vivre.

Et votre rôle de cadre, dans tout ça ?

Je suis dans l’équipe, pleinement. Bien sûr, je gère le management, les plannings, le recrutement, mais ma mission, c’est aussi de prendre soin de l’équipe. La charge émotionnelle est lourde. Alors je conçois les plannings de façon à ce que chaque membre puisse avoir régulièrement un temps de pause, une semaine plus légère. C’est essentiel pour tenir sur la durée.
Chaque décès est une perte. Ce n’est pas notre deuil, mais c’est une perte quand même. Parfois, on en vit plusieurs dans la même journée. Alors il faut pouvoir souffler, faire un peu de vide, pour revenir plus disponible, plus présent. On ne s’habitue jamais à la mort, mais on apprend à vivre avec.

Un dernier message à faire passer ?

Oui. Dire qu’en soins palliatifs, il y a de la vie, de l’écoute, du sens. Et qu’il y a encore tant à faire pour faire connaître cette culture palliative. Elle est essentielle. Elle nous concerne tous. C’est pour cela que je vais à la rencontre des étudiants, des soignants en formation. Pas pour faire des cours, ce n’est pas mon truc. Mais pour transmettre, pour diffuser cette culture, humaine et vivante.

" Il y a une vérité qu'on préfère oublier : un jour, on mourra.
La culture palliative est essentielle, elle nous concerne tous.
J'ai entendu un jour cette phrase que je trouve très juste : les soins palliatifs soignent aussi la société civile. "