Les yeux dans les yeux
Interview de Blandine G.

Est-ce que vous pouvez vous présenter et nous dire pourquoi vous êtes là, pourquoi vous êtes bénévole ?
Je suis maman de trois enfants. Si je suis bénévole aujourd’hui, c’est en grande partie parce que j’ai exercé
un métier très humain, tourné vers le soin et la relation. Aujourd’hui, je suis pleinement dans une posture de
bénévole, simplement quelqu’un qui est là.
Vous pouvez en dire un peu plus ?
Oui. Après avoir quitté mon métier, j’ai entrepris un master en éthique de la santé, avec une approche plus
philosophique du soin. J’ai écrit un mémoire sur l’admiration. J’y défends l’idée que l’admiration est une
sorte de "supplément de regard", qui nous permet de rencontrer l’autre dans toute son humanité.
L’observation et le lien relationnel sont fondamentaux, bien sûr, mais l’admiration nous place encore
ailleurs : elle nous met à la hauteur de l’autre, quel qu’il soit.
Et ici, vous trouvez que ce temps existe ?
Oui, en tant que bénévole, j’ai ce temps-là. Le temps pour la relation. J’aime dire qu’on entre ici dans
l’épaisseur du temps. Parce que c’est uniquement dans le présent qu’on peut vraiment rencontrer quelqu’un.
C’est ici. Maintenant. Tout est là. C’est ça, l’enjeu : habiter le présent.
C’est une grande différence avec l’extérieur, non ?
Oui. Dehors, on demande souvent : « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu accomplis ? » Ici, la vraie
question, c’est plutôt : « Qui es-tu ? » — pas frontalement, bien sûr, mais c’est ce qui se joue dans chaque
rencontre. Et ça ancre profondément. On croise ici des personnes de tous horizons — des réfugiés, des
personnes qui ont vécu dans la rue, des artistes, des dirigeants… Peu importe d’où elles viennent. Ce qui
compte, c’est qui elles sont, là, maintenant.
Et qu’est-ce que ça vous apporte, à vous, d’être bénévole ?
C’est aussi un service que je me rends. C’est très stabilisant, très structurant. Ça me ramène à l’essentiel.
Comment vous définiriez les soins palliatifs, même en un mot ?
C’est difficile en un mot… On pense tout de suite à l’accompagnement, évidemment. On a envie de parler
de vie, de présence. Pour moi, c’est presque un état d’esprit. Une manière de prendre soin de l’être humain
dans toutes ses dimensions. Et cette mentalité palliative, elle devrait exister bien avant l’entrée en soins
palliatifs.
C’est une vision assez large, donc ?
Oui. On a souvent une image trop restreinte des soins palliatifs : fin de vie, agonie… Alors qu’en fait, cela
commence bien avant. Ce n’est pas qu’un moment de vie. C’est une manière d’être en relation. Pour moi,
c’est la relation de soin par excellence. On ne devrait pas pouvoir concevoir un soin qui n’ait pas cette
dimension-là.
Qu’attendez-vous de la société par rapport aux soins palliatifs ?
Déjà, je pense que le bénévolat est un engagement citoyen. Il y a beaucoup de belles choses en France : une
grande richesse associative, des personnes très engagées. Ce que j’espère, c’est que cette ouverture continue
de grandir, qu’on donne de son temps, qu’on s’investisse. Et pourquoi pas auprès des personnes en soins
palliatifs ? C’est une manière très concrète de faire vivre la fraternité — ce mot qu’on lit sur les frontons des
mairies. Et la fraternité, elle se vit maintenant. Pas demain.
À quoi ressemble un moment ici ?
À vrai dire… on ne fait pas grand-chose. Et parfois, on ne sait même plus très bien qui accompagne qui.
C’est la personne qu’on accompagne qui donne le rythme. On change un peu de dimension. Parfois, il s’agit
juste d’aller dans le jardin, écouter les oiseaux, sentir le soleil. Parfois, on échange des mots profonds. Et
parfois, on reste dans le silence. Ce qui compte, c’est l’écoute active et l’accueil inconditionnel de l’autre.
Et s’il y avait un message à faire passer ?
Je ne suis pas dans la communication, je ne sais pas trop faire ça… Mais peut-être ceci : la relation de soin,
on n’a pas besoin d’être soignant pour la vivre. C’est un lien qui dit notre humanité. Il ne peut pas y avoir
d’humanité sans relation de soin. Et ça, chacun peut s’en emparer.
" J’aime dire qu’on entre ici dans l’épaisseur du temps.
La fraternité, elle se vit maintenant, pas demain.
C'est ça l'enjeu, habiter le présent ! "