Les yeux dans les yeux
Interview de Annick T.

Depuis combien de temps venez-vous ici ?
Ça fait vingt ans que je viens ici.
J’ai eu mon premier cancer en 2005.Les traitements – chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie – se sont enchaînés, et tout s’est, entre guillemets, “plutôt bien passé”. En moins d’un an, c’était plié. J’ai eu la chance d’être très bien entourée. Ma famille, mes amis, mon environnement professionnel… un cocon bienveillant.
Et après, vous avez continué à être suivie ici ?
Oui, de 2006 à 2018, j’ai été suivie régulièrement. Contrôle, scanner, consultation, puis je repartais. Parfois un petit resto, une expo, un bouquin au jardin du Luxembourg. J’associais ces visites à des petits moments de bonheur. Je faisais en sorte que ce ne soit pas seulement médical.
Et en 2018, qu’est-ce qui s’est passé ?
Une image douteuse au niveau du poumon. C’est reparti. Cette fois, c’était une chimiothérapie orale. Plus simple logistiquement – pas d’allers-retours chaque semaine – mais ce n’est pas pour autant plus léger. L’inquiétude est là, même si on fait tout pour l’éloigner. On n’y pense pas à 100%, mais on ne peut pas ne pas y penser du tout. Et il y a la fatigue, les effets secondaires. Les choses se sont aggravées.
Et les soins aujourd’hui ?
Je viens ici pour des chimiothérapies par perfusion. Ce sont de longues journées. Je suis encore affaiblie, même si ça va un peu mieux. Je ne prends plus les transports en commun.
Et est-ce que vous arrivez à demander de l’aide ?
C’est difficile. J’ai été élevée comme ça : il faut se débrouiller seule. Je pense même que ça blesse un peu mes enfants que je ne leur demande rien. Ils doivent sentir que je leur cache des choses. C’est une question de pudeur, de fierté.
En revanche ce qui m’aide beaucoup lorsque je viens ici en soins palliatifs, c’est de rencontrer la nutritionniste qui m’accompagne, me conseille.
Ils sont là. Ce n’est pas qu’une question de douleur. J’en ai, dans le thorax surtout, au niveau de la tumeur. Mais elles sont gérables. Ce dont j’ai besoin aujourd’hui, c’est de reprendre de la force, de remuscler, de remanger. J’ai vu une nutritionniste, une kiné. Ça, c’est essentiel.
Mais ce n’est pas facile. On me dit de grignoter toute la journée. Mais je n’ai pas faim. J’ai une amie qui mange sans arrêt, mais moi, ce n’est pas mon rapport à la nourriture. Et changer ça, c’est compliqué.
Je vais sans doute rentrer chez moi dans quelques jours. Une équipe mobile de soins palliatifs viendra me voir à la maison. J’aurai encore besoin d’un suivi, d’une infirmière spécialisée. Et je reviendrai ici pour les chimios.
Un dernier message ?
Je pense que je suis bien accompagnée. Mais j’essaie de ne pas trop en demander. Et malgré ma pudeur, ma fierté, je crois qu’il ne faut pas hésiter à dire qu’on a besoin. Il y a une vraie solidarité. Il ne faut pas en abuser, mais elle existe.
Et puis, je me dis souvent que j’ai de la chance. D’être en France. Parce que quand j’entends ce qu’il se passe ailleurs, dans certains départements sans soins palliatifs du tout… c’est effrayant.
" Ça fait vingt ans que je viens ici.
J'associe ces visites à des petits moments de bonheur.
Je fais en sorte que ce ne soit pas seulement médical "