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Les yeux dans les yeux

Rencontres en soins palliatifs

Interview de Idriss F.

Est-ce que je peux te demander de te présenter ?

Je suis Idriss, infirmier et j'ai plus de 10 ans d'expérience dans les soins palliatifs. J’ai travaillé en équipe mobile et j'ai également été cadre de santé dans une unité de soins palliatifs parisienne. Je suis investi dans le mouvement des soins palliatifs.
Je me définis comme militant. C’est comme ça que je me positionne, à la fois dans le mouvement, mais aussi par rapport à ce que ça réveille en moi, en tant que sujet inscrit dans la société, et en tant que soignant.
Je crois que le sujet a peut-être pris le pas sur le soignant, parce que j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans les soins palliatifs.
Aujourd’hui, je suis dans une école d’infirmière, je ne donne pas de cours à proprement parler, mais je continue à intervenir en formation continue, notamment en EHPAD ou en hôpital, sur tout ce qui touche à la démarche palliative. Qu’est-ce que c’est que faire du soin palliatif ? Quelles techniques ? C’est aussi très pratico-pratique. Il y a une technique, il y a des traitements, il y a des gestes. Mais il y a aussi cette dimension éthique, de savoir-être, de posture.

Tu dis être militant, quel est ton message sur les soins palliatifs ?

Souvent, on dit que les soins palliatifs sont une réponse à la souffrance, par opposition à d’autres solutions qu’on nous propose aujourd’hui. Mais on ne peut pas les comparer. Les soins palliatifs, pour moi, c’est du bon sens. C’est être présent. Présent comme personne auprès d’une autre personne.
Il y a une partie technique, oui, mais avant tout, c’est une présence viscérale, nécessaire. Quelle que soit la situation, quel que soit le public. Faire du soin palliatif, c’est être là, avec, à côté. C’est ce qu’on attend de nous, en tant qu’êtres humains. C’est être là quand ça compte, quand ça s’effondre. Et aussi, nommer les choses. Nommer la mort : dire que la fin de vie fait partie de la vie.

Quel regard poses-tu sur la vulnérabilité ?

Je fais une distinction entre la vulnérabilité et la fragilité.
La fragilité, c’est l’état de quelqu’un qu’on doit protéger, qu’on doit accompagner. Mais ce n’est pas forcément inquiétant si le contexte est bienveillant. Le bébé, par exemple : il est fragile. Mais tant qu’il est entouré, il n’est pas vulnérable.
La vulnérabilité, pour moi, c’est la fragilité mise en danger par le contexte. Si la société, les institutions, les proches ne sont pas là, ne sont pas présents, alors la personne devient vulnérable.
Et aujourd’hui, avec les débats sur la fin de vie, c’est exactement ce qu’il se passe. Si on ne met pas les moyens pour entourer, pour accompagner, pour écouter, alors on rend les gens vulnérables. Là où ils pourraient juste être fragiles, mais soutenus.

Est-ce que les soins palliatifs, c’est que à la fin de vie ?

Alors non, justement. Les soins palliatifs, c’est comme la vie, en fait. Dans l’inconscient collectif, on pense : soins palliatifs = derniers jours. Mais c’est faux.
Les soins palliatifs, ça commence à partir du moment où on reconnaît l’incurabilité d’une pathologie. Ce n’est pas la fin immédiate. Ce n’est pas attendre que la personne soit à l’agonie. C’est intervenir tôt.

Et puis, palliatif, ça vient de "pallier à". Donc faire à défaut de guérir. Si je pousse un peu, toutes les personnes qui vivent avec des maladies chroniques — diabète, VIH, hypertension — sont dans une forme de soin palliatif. Parce qu’on ne guérit pas, mais on accompagne.
Donc les soins palliatifs, c’est une présence longue, continue, adaptée. Et c’est surtout une manière d’écouter la personne, ses besoins, ses envies. Et ça, ça demande de la finesse. Parce que ce que veut l’aidant n’est pas forcément ce que veut la personne. Ce que veut le soignant n’est pas forcément ce que la personne veut. Il y a là tout un travail d’ajustement.
Et c’est pour ça qu’on insiste sur la précocité. Parce qu’on ne meurt qu’une fois. On n’a qu’une chance de vivre cette étape-là. Donc il faut qu’on soit là. Que ce soit le moins mal possible, en accord avec la personne.
Et non, ce n’est pas à opposer à l’euthanasie. Ce n’est pas la même chose. On cristallise beaucoup autour de ces débats, parce qu’on a peur de la mort. Mais la mort, elle prend 30 secondes. Ce qui compte, c’est tout ce qu’il y a avant. Tout ce qu’on peut encore vivre. Toute l’histoire qu’on peut encore écrire avec la personne.

Est-ce que les soins palliatifs aident la société à aller mieux ?

Oui. Oui, vraiment.
Surtout dans une société occidentale qui a mis la mort sous le tapis. On ne veut plus voir le vieillissement, la perte d’autonomie, la finitude. On célèbre la performance, la jeunesse. Même les cimetières, historiquement, se sont éloignés du cœur des villes.
Et pourtant, la mort est partout. Dans les films, les jeux, les infos. Mais on l’a rendue abstraite. Désincarnée.
On a coupé le lien.
Les soins palliatifs, eux, remettent du lien. Ils rappellent que la mort fait partie de la vie. Et qu’on peut la vivre, l’accompagner, l’accueillir même, dans une présence partagée.
Alors oui, les soins palliatifs aident la société à aller mieux. Parce qu’ils nous obligent à réfléchir à ce qu’est être vivant, à ce que c’est qu’être ensemble, à ce que c’est que partir, et rester.
Et ils nous confrontent à cette ambivalence humaine. On peut vouloir mourir un jour, et vouloir vivre le lendemain. On peut être en grande détresse et tout à coup recevoir une nouvelle qui ravive la lumière.
J’ai vu des gens dire : « Je veux mourir ». Et le lendemain : « Ma fille est enceinte ». Et là, tout change.
C’est pour ça que je ne peux pas soutenir une loi qui viserait à interrompre cette ambivalence.
Les soins palliatifs nous apprennent aussi à vivre avec notre impuissance. À accepter que l’on ne peut pas tout réparer. Mais qu’on peut être là.
Alors non, je n’ai pas de « dernier mot ». Mais s’il y en avait un, ce serait peut-être ça : soigner, c’est être présent. Jusqu’au bout. Et même un peu après.

" Il y a une distinction entre vulnérabilité et fragilité.
Si la société, les institutions, et que les proches ne peuvent pas être présents alors la personne fragile devient vulnérable. "