Les yeux dans les yeux
Interview de Didier B.

Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Didier Berthelemot, j’ai 73 ans. Depuis plusieurs années, je soutiens les soins palliatifs. Avec mon
épouse Brigitte, nous avons créé un fonds de dotation il y a une quinzaine d’années : Le Champ des Étoiles.
Il est né de notre volonté de soutenir les personnes en situation de grande vulnérabilité : celles qui vivent la
fin de vie, mais aussi celles qui sortent de prison, qui vivent à la rue… Au fil du temps, la question de la fin
de vie est devenue centrale pour nous.
Comment définiriez-vous les soins palliatifs ?
Si je devais résumer ce que sont les soins palliatifs, je dirais que c’est la promesse de non-abandon.
« Je ne peux pas te guérir, mais je m’engage à ne pas t’abandonner. »
C’est cela qui me touche profondément, et qui motive mon engagement. C’est aussi ce que j’ai entendu et vu
pratiquer.
Aujourd’hui, au cœur du débat sur l’aide à mourir, je voudrais apporter une nuance essentielle. Une même
personne peut dire un jour : « Aidez-moi à mourir, je n’en peux plus », et deux jours plus tard : « Aidez-moi
à vivre, à moins souffrir, à être pris en charge. » Il faut se méfier de l’immédiateté, de cette idée qu’on
pourrait « régler » une souffrance irréductible en deux jours. Ce cri, souvent, n’est pas un appel à mourir,
mais un appel à l’aide. C’est un point fondamental pour moi.
Les soins palliatifs portent une autre vision de la médecine : celle qui reconnaît ses propres limites, qui
accepte de ne pas tout maîtriser. Cette humilité me semble précieuse à l’heure où la médecine devient de
plus en plus technicisée, presque mécanisée. Les soins palliatifs nous rappellent que la médecine, avant tout,
est une relation humaine.
Je ne suis ni soignant, ni bénévole. Mais j’ai beaucoup écouté. Ce que j’entends, ce que je retiens toujours,
c’est cette idée simple et forte : « Je ne t’abandonnerai pas. » Et aussi cette belle phrase que j’ai entendue
dans un service : « On ne peut pas rajouter des jours à la vie, mais on peut rajouter de la vie aux jours. »
Les soins palliatifs aident-ils la société à aller mieux ?
Je crois que oui. Ils nous rappellent que chaque vie, même dans sa plus grande fragilité, reste digne
d’attention. Ils nous montrent que la relation humaine compte plus que tout. Et ils nous aident à dépasser
notre peur de la mort. Il faut une certaine force pour côtoyer la fin de vie au quotidien. Je suis profondément
admiratif de celles et ceux qui le font : les soignants, les bénévoles, les accompagnants.
Mon épouse, a été bénévole dans une association qui s’appelait Jusqu’à la mort, accompagner la vie. Ce
nom dit tout. La mort survient, mais ce qui peut être vécu jusqu’au dernier jour, dans la relation, change
tout. Pour la personne malade, bien sûr, mais aussi pour sa famille, pour ses proches. Et cette attention
permet de passer, parfois, de la révolte au calme, de l’angoisse à la paix.
Mais il faut le dire : aujourd’hui, l’offre palliative n’est pas à la hauteur des besoins.
Il manque des services, des professionnels formés, des bénévoles. On ne pourra pas avancer tant qu’on
n’aura pas déployé réellement ce que permettent déjà les lois actuelles. Avant de parler d’une nouvelle loi
sur la fin de vie, posons-nous la question : a-t-on tout fait pour que chacun puisse bénéficier d’un
accompagnement palliatif digne ?
Ce combat-là n’est pas terminé. Il est même plus nécessaire que jamais. Car il s’agit de défendre un regard :
celui qui voit en chaque être humain, même très fragilisé, une personne digne d’attention, d’écoute,
d’accompagnement. C’est cela que je soutiens. Et c’est cela que je remercie infiniment celles et ceux qui le
portent chaque jour.
C’est, pour moi, une forme de fraternité. Et c’est sans doute la plus belle expression de ce mot.
" Les soins palliatifs portent une autre vision de la médecine : celle qui reconnaît ses propres limites, qui accepte de ne pas tout maitriser.
Cette humilité me semble précieuse à l'heure où la médecine devient de plus en plus technicisée, presque mécanisée.
On ne peut pas rajouter des jours à la vie, mais on peut rajouter de la vie aux jours. "