Les yeux dans les yeux
Interview de Séverine L.

Peux-tu revenir brièvement sur ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a permis de faire ce choix de spécialité, d’être aide-soignante en équipe mobile ?
Être soignante en équipe mobile, c’était presque un pari à l’époque. Je suis l’une des premières en France à avoir intégré une équipe mobile de soins palliatifs en tant qu’aide-soignante. Tout a commencé pendant un stage dans une équipe mobile il y a bien longtemps. On m’avait dit : « Si un jour un poste se crée, ça t’intéresserait ? » Et quelques années plus tard, la direction a accepté de créer ce poste, et j’ai rejoint l’équipe.
Il existait déjà une équipe mobile, mais sans aide-soignant. Mon rôle, ce n’est pas le soin technique, c’est la coordination, la relation. J’ai passé un Diplôme Universitaire de soins palliatifs, et je me suis formée à la prise en charge de la douleur.
Qu’est-ce qui te motive au quotidien dans ton accompagnement ?
C’est clairement le travail en équipe. Travailler en pluridisciplinarité, c’est essentiel. On intervient souvent en binôme avec un médecin, mais aussi parfois avec une assistante sociale, une psychologue, une infirmière. Ce double regard, c’est fondamental. Dans une chambre, on essaie de ne pas être trop nombreux pour ne pas envahir, mais on fonctionne comme une seule unité. Ce travail d’équipe permet une prise en charge globale du patient et de ses proches. Et c’est ça, pour moi, la clé : le patient n’est jamais seul, il arrive avec son histoire, ses liens, ses souffrances. Il faut accompagner tout ça.
Et aujourd’hui, où en est-on en France ? Est-ce que ce type de poste d’aide-soignante en équipe mobile est répandu ?
Ça commence à s’ouvrir. Il y a des équipes intéressées, motivées pour intégrer des aides-soignants en équipe mobile, mais cela reste un travail de longue haleine. Certains services sont vraiment demandeurs. Ça avance, doucement, mais sûrement.
Qu’est-ce que tu dirais à une personne qui ne connaît pas ton métier ?
Je lui dirais que les soins palliatifs, c’est la vie. Je le dis souvent : c’est la vie. Les gens pensent que c’est forcément dur. Et oui, parfois ça l’est. Mais on rit, on chante, on partage, on accompagne. Parfois, on est là sans parler, juste présents. Et ça fait partie de la vie. Le simple fait d’être là, de créer du lien, c’est un soin en soi.
Et ta relation avec les familles ?
On accompagne le patient, bien sûr, mais aussi sa famille ou ses proches. Parfois, il n’a plus de famille mais il a des amis proches. Il arrive avec une valise ou un sac à dos… tout ce qu’il porte est là, avec lui. Si on ne prend pas en charge ses proches, il ne sera pas bien. On essaie d’être le plus disponible possible. S’ils ont besoin de nous voir tous les jours, on s’organise. Même si c’est une grosse journée, on trouve du temps, on s’arrange en équipe.
Est-ce que tu parles de ton métier autour de toi ? Comment les gens réagissent ?
Oui, j’en parle. Et souvent, on me dit : « Mais comment tu fais ? Ce doit être horrible. » Alors je réponds : non, ce n’est pas horrible. On va voir les patients, on leur sourit. Bien sûr, on s’adapte. Je ne débarque pas avec des maracas dans une chambre où quelqu’un souffre. Mais parfois, ces maracas, au sens figuré, ils sont nécessaires. Parce qu’on apporte de la vie. On ressent les choses, on ajuste à la seconde.
Tu dis avoir transformé ton expérience en expertise. Peux-tu en dire plus ?
Oui, c’est exactement ça : j’ai fait de mon expérience une expertise. Je suis une « vieille » aide-soignante, comme j’aime le dire. J’ai 28 ans de carrière, dont 25 en soins palliatifs. Aujourd’hui, je suis aussi hypnothérapeute (et non pas hypnotiseuse !), praticienne Reiki, et je me forme à l’EMDR. Et là encore, je suis la première aide-soignante en France à intégrer une école d’EMDR, formation souvent réservée aux médecins et psychologues. J’ai dû prouver ma légitimité, mais je l’ai fait pour mes patients. J’ai besoin de ces outils pour améliorer la qualité de ma prise en charge.
Dans nos blouses, on a des poches. Moi, j’ai besoin que mes poches soient pleines : plan A, B, C, D… pour pouvoir m’adapter à toutes les situations.
Et si on se projette dans deux ans, qu’aimerais-tu ?
Dans deux ans, j’aimerais parler anglais. Parce que dans ma région, on reçoit de plus en plus de patients anglophones. Et la barrière de la langue, c’est vraiment un frein. Je parle russe, j’ai appris la langue des signes… mais pas encore l’anglais. C’est mon prochain défi. Et je suis sûre qu’il y en aura d’autres.
Et vis-à-vis de la loi sur la fin de vie, comment te projettes-tu ?
Aujourd’hui, je m’adapte. Mais les changements à venir me mettent en difficulté. Ce sont des questions complexes. J’ai ma place dans ce métier, j’en suis convaincue. Et mes collègues aides-soignants aussi. Mais les lois en préparation viennent heurter ce qu’on vit sur le terrain.
Souvent, quand un patient demande l’euthanasie, c’est qu’on n’a pas réussi à soulager des symptômes, qu’on a échoué à calmer une douleur dite « réfractaire ». Et je ne parle pas seulement de douleur physique, il y a aussi la douleur psychologique. Et celle des proches. Quand on voit souffrir une mère, un enfant, un frère… je comprends qu’on puisse dire : il faut que ça s’arrête.
Mais si on avait plus de moyens, plus de lits en soins palliatifs, plus de personnel formé, plus de financement, peut-être que ces demandes seraient moins nombreuses.
Je me souviens de cette patiente atteinte de sclérose en plaques à qui on a annoncé un cancer très agressif. Elle ne voulait pas venir dans notre service de peur de devoir payer la chambre particulière. Voilà ce qu’on vit. Voilà pourquoi il faut former, informer, investir.
Un mot de la fin ?
Quand j’ai voulu passer le DU de soins palliatifs, je n’étais pas encore en équipe mobile. J’étais dans un service avec des lits identifiés soins palliatifs. J’ai demandé à ma direction s’ils pouvaient financer la formation. On m’a répondu : « Mais ça ne sert à rien de former les aides-soignants. » Alors je l’ai payé moi-même, j’ai posé des congés pour le faire. Et j’ai continué une seconde année de formation, sans le bac.
Alors oui, je suis fière. Et surtout, je suis convaincue que ce qu’on fait chaque jour, c’est dans l’intérêt du patient. Ce n’est pas une question d’égo. C’est un travail d’équipe, comme un jeu de Lego : chacun apporte sa pièce. »
" Les soins palliatifs, c'est la vie. "