Les yeux dans les yeux
Interview de Stéphane B.

Comment es-tu devenu bénévole ?
Écoute, en fait, ça faisait très longtemps que je voulais accompagner des personnes en fin de vie. C’est à force d’échanges avec une amie infirmière en soins palliatifs, à chaque fois que je lui posais la question "Comment ça se passe ?", elle me répondait : "Viens voir".
Et puis un jour, je suis venu. Il y avait cette musique, cette atmosphère, et ça m’a interpellé, ça m’a appris beaucoup, et ça m’a conforté dans ce que je ressentais déjà : je voulais m'engager dans une démarche de soins palliatifs, en milieu hospitalier.
J’avais déjà fait un peu d’accompagnement à domicile, il y a cinq ans environ, dans une association qui existe toujours. Mais j’y suis resté peu de temps.
Je m’étais toujours dit : la prochaine fois que je m’engage, ce sera à l’hôpital. Et donc, voilà, j’ai commencé il y a trois ans maintenant.
Qu’est-ce qu’un bénévole en soins palliatifs ? Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Pour moi, être bénévole c’est faire partie d’une équipe. Sensible à la musique, j’aime à penser que cette équipe est faite de plusieurs sons : les soignants, les professionnels du paramédical et les bénévoles. Tous, nous sommes là. Là pour accompagner jusqu’au bout de leur vie les personnes que nous rencontrons.
Ce que je trouve très beau, c’est justement cette dimension collective : chacun, selon sa personnalité, son parcours, vient aux côtés des malades pour offrir une présence. Et parfois plus, si le malade le demande.
Tu parles beaucoup de la notion d’équipe. Qu’est-ce que tu penses que ça apporte aux soignants ?
Je pense qu’il y a d’abord cette idée de mieux se connaître. Quand on arrive dans une unité de soins palliatifs, il y a comme une immersion.
Les soignants, eux, croisent beaucoup de bénévoles, donc ce n’est pas évident de retenir tous les prénoms. Mais nous, on est attachés à une seule unité. Ce que je trouve très intéressant, c’est la connaissance fine des soignants : peu à peu, ils te sollicitent, t’interpellent, t’intègrent.
Les transmissions aident bien sûr à mieux connaître les patients, mais au-delà des statuts, soignant, bénévole, il y a cette complémentarité d’équipe.
Et c’est important, car on peut être amené à entrer dans une chambre à la demande d’un soignant. Je trouve cela très fort.
La présence bénévole est précieuse..
Oui, je trouve que le lien entre soignants et bénévoles est assez unique. Et les formations que l’on suit sont très enrichissantes.
J’ai fait récemment une formation de trois jours intitulée "Bien plus que des soin". Il y avait des soignants aussi autour de la table. J’aime beaucoup m’enrichir de ce qu’ils vivent : les situations simples comme les situations complexes.
Ça me permet de mieux comprendre ce qu’il se passe dans l’unité, de mieux comprendre la douleur, de mieux rejoindre le malade là où il en est. Car au-delà des échelles ou des outils, ce qui compte, c’est comment on entre en relation.
Et toi, en tant que bénévole, qu’est-ce que tu apportes aux patients ?
C’est une relation très particulière, tu sais. C’est un inconnu qui rencontre un autre inconnu, à un moment très particulier de la vie.
À chaque fois, c’est différent. Quand je rentre dans une chambre, je sens qu’il y a un ajustement à faire, jusqu’au bout de la rencontre, en fonction de l’état du malade, de la douleur, de la présence ou non de la famille.
Je fais très attention à être au plus juste. Et souvent, c’est le malade qui va guider cette rencontre.
C’est un moment fait d’imprévus, d’ouverture. On est là pour donner, et quand le malade sent ça, il donne aussi. Le bénévole, pour moi, c’est un espace neutre, nouveau.
Le malade a sa famille, parfois avec une histoire complexe, il a les soignants avec qui le lien est différent. Nous, on est en dehors de tout ça. Et cette neutralité, paradoxalement, ouvre la parole.
Il n’y a pas d’enjeu, juste l’écoute. Et souvent, la parole se libère. Elle est intense, profonde, dans un vrai cœur à cœur.
Nous sommes là les uns pour les autres dans la vérité d'une rencontre. C’est comme si chacun enlevait son costume. Celui de sa vie, professionnelle, sociale. C’est rentrer un peu à nu dans la rencontre. Je trouve cela exceptionnel.
Dans la vie, on joue tous des rôles. C’est normal. Mais là, dans la chambre, il n’y a plus que l’essentiel. Une humanité partagée, main dans la main.
Ce que je cherchais dans ce bénévolat, c’est justement ça : toucher la vulnérabilité dans ce qu’elle a de plus extrême. Et c’est dans cette extrémité qu’on touche le plus vrai, le plus humain.
À quoi ça ressemble, un moment de bénévolat ?
Il y a beaucoup de choses qui se jouent, bien sûr selon la pathologie, mais aussi dans les silences, dans les regards.
Le regard peut dire beaucoup, même sans parole. Il peut inviter à entrer, à s’asseoir, à partager un moment, ou à refermer la rencontre.
Le regard fait partie de la rencontre et je dirais aussi au-delà, il y a la parole qui est une forme de rencontre, plus commune certes mais qui en soins palliatifs est. Le geste aussi. Celui qui est posé avec beaucoup de délicatesse. C'est quelque chose qui réunit les cœurs.
Un geste simple, comme tendre une main, peut être extraordinaire.
Et ce geste, il est unique. Il appartient à ce moment-là. La semaine suivante, tout aura peut-être changé.
C’est ce qui est magnifique : quoi qu’il arrive, on est toujours en lien. Le malade nous guide, et nous, on trouve les ressources pour le rejoindre.
L’expo photo a pour but de faire parler des soins palliatifs. Et toi, en tant que bénévole, mais aussi en tant que citoyen : qu’attendrais-tu de la société à ce sujet ?
J’aimerais que la société agisse.
Je me rends compte que les soins palliatifs sont très mal connus. On les associe trop souvent à une fin triste, à quelque chose de sans issue.
Quand j’en parle autour de moi, c’est ce que j’entends. Et pourtant, il y a une richesse incroyable.
Il faut mettre en lumière ce que sont réellement les soins palliatifs. Ce n’est pas seulement de la compassion, même si elle est essentielle, c’est aussi une culture, un vrai savoir-faire. Les soins palliatifs c'est de la compassion et c'est de l'humanité.
Il y a une technicité, une coopération, une puissance collective. Et tout ça, c’est peu visible. Je trouve que ce serait essentiel de reconnaître ce travail, de le valoriser.
On associe souvent "soins palliatifs" à "mort", alors qu’on y vit des semaines, des jours, parfois des années très riches.
Je me souviens d’un médecin qui disait : "Ma blouse, elle pèse lourd." C’était pour rappeler que derrière ce soin, il y a une expertise et une histoire.
Et moi, je souhaite que cette culture se développe, qu’elle soit reconnue, que tous les territoires soient équipés.
C’est un enjeu de société. Ça nous concerne tous : nos parents, nos enfants, nous-mêmes.
Et toi, qu’est-ce que ça t’apporte, ce bénévolat ?
Pour moi, c’est la colonne vertébrale de ma semaine.
J’ai à cœur de prendre soin des autres, et j’attends ce moment avec impatience.
J’essaie de faire du bien, même si ce n’est pas toujours simple. Mais c’est une respiration.
Je donne, je donne, et je reçois aussi, souvent même plus que ce que je donne.
Prendre soin, c’est essentiel. Et ce qui se passe en soins palliatifs, on devrait l’imaginer partout : dans les écoles, dans les entreprises…
C’est un mouvement profond, une façon d’être au monde que j’aime profondément.
Ce bénévolat m’apporte énormément. J’y vis des moments uniques, faits d’essentiel, dans la rencontre avec une personne en grande fragilité, qui a encore quelques jours, ou quelques semaines à vivre.
" La culture du soin palliatif est faite de compassion et d'humanité autour du patient, dans une démarche puissante et collective.
Etre bénévole, c'est avant tout faire partie d'une équipe à plusieurs voix : les soignants, les professionnels du paramédical et les bénévoles.
Tous, nous sommes là pour accompagner chaque personne que nous rencontrons. "